Thomas Duranteau expose Des miettes et des étoiles, Carnet de voyage graphique de Thomas Duranteau dans les camps d’extermination nazis à la médiathèque Michel-Crépeau de La Rochelle jusqu’au 31 janvier 2023. L’occasion pour Marguerite La Rochelaise de faire une belle rencontre riche d’échange et découverte.

« Ce projet d’exposition est venu d’un voyage qui a eu lieu en 2009. Il n’était pas prévu au départ que cela devienne un livre. J’ai plutôt amené carnet et crayons dans le but de gérer l’émotion sur place. Je n’ai personnellement aucun lien familial avec la Shoah mais je me doutais que me rendre dans ces lieux allait forcément brasser plein d’émotions. Dessiner a été pour moi un moyen personnel de gérer les émotions de ce voyage.

Lorsqu’à la fin du voyage j’ai montré mes croquis et dessins aux anciens déportés qui m’accompagnaient, notamment Raphaël Esraïl, Président de l’union des déportés d’Auschwitz, tous ont trouvé ce travail intéressant et m’ont poussé à aller plus avant. Pris par d’autres projets, ceci a été mis de côté un moment. Jusqu’au jour où j’ai rencontré sur un salon un éditeur dont j’apprécie beaucoup le travail. Je lui ai parlé de ce carnet d’Auschwitz et il a immédiatement adhéré au projet. Le livre a été édité en 2012 après un long temps de travail et de réflexion. Sur ma légitimité et son point de départ : en tant qu’historien ? Auteur ? Plasticien ? La légitimité s’est faite par la forme même du livre. Même si j’ai retravaillé l’écrit et ajouté des dessins réalisés ensuite en atelier, j’ai gardé tels quels tous les dessins et croquis du carnet de voyage. Afin de garder aussi la spontanéité du dessin réalisé sur le vif. J’ai été en capacité d’entrer dans une approche sensible car en tant qu’historien je suis solide sur mes connaissances en approche documentaire. »

Thomas Duranteau – « Des miettes et des étoiles »

« Vu qu’il y a encore aujourd’hui du négationnisme et des contre-vérités, le fait d’être solide sur ses connaissances m’a ouvert la possibilité de me dire : « Je laisse résonner un lieu tel qu’il est, avec mon imaginaire, mon vécu, ce que je suis personnellement aujourd’hui. » Montrer et « faire de l’image sur les camps de concentration est toujours compliqué car il y a cette idée que finalement l’image fige dans un cadre l’ensemble de la complexité de la Shoah. Cela implique d’avoir un autre rapport à l’image. Le fait de passer par le dessin ou la peinture était une façon de me dire : « voilà ma forme est tout à fait personnelle, mon regard est subjectif. » Etre ainsi une sorte de point intermédiaire entre le côté documentaire et sensible du thème tout en étant capable de faire résonner ce lieu. »

Thomas Duranteau – « Des miettes et des étoiles »

« Je me souviens d’un moment très fort de ce voyage. Nous étions en octobre. En octobre il fait déjà très froid en Pologne et la nuit tombe très tôt. Nous nous sommes retrouvés dans une pièce où sont présentés des tonnes de cheveux éclairés par une lumière rasante…L’image qui m’est venue à l’esprit à ce moment là est celle du dragon sur son tas d’or dans le film « Le Hobbit ». Ce qui en soit n’a aucun rapport. Mais j’ai toutefois conservé cette première image car elle impliquait une réflexion : quel trésor garde t-on dans ces lieux de mémoire, quel sens cela a t-il ? Nous sommes aujourd’hui dans une phase intermédiaire ou les témoins disparaissent peu à peu et arrive le questionnement de la poursuite de la mémoire. Sans qu’elle devienne figée. Il faut alors oser prendre le risque de s’insérer dans cette histoire, même si on ne l’a pas soi même vécu. »

« Dés la parution de l’ouvrage st venu assez rapidement l’idée d’un exposition. Je disposais de beaucoup de matière avec peintures et sculptures, des formats différents, des dessins et croquis du carnet. La première exposition s’est déroulée au Musée de la Résistance de Limoges. Pour cette exposition, nous avons eu la chance d’avoir des prêts d’objets venus directement du musée du Mémorial d’Auschwitz – Birkenau. Cette exposition a connu une itinérance en France, notamment dans plusieurs mairies d’arrondissement de Paris, à Millau, Limoges… Avant d’arriver aujourd’hui à la médiathèque Michel Crépeau à La Rochelle où elle est présentée jusqu’à la fin janvier 2023. »

« Face à la montée des nationalismes et extrémismes en Europe, je pense que le fait d’avoir à ouvrir cette page d’histoire, à s’y replonger, est une porte ouverte pour se questionner sur l’humain. Que fait-on du rapport à l’autre ? Comment se positionne t-on dans notre vie sur la manière de regarder l’autre ? Rester vigilant sur ce qui nous entoure, sur tout ce qui se passe autour de nous et dans le monde. Une volonté aussi citoyenne de prendre ce thème en mains. Une forme d’humanisme en quelque sorte.

Au delà ce cet ouvrage, mon fil rouge de création a toujours été les frontières de l’humain. Le questionnement sur ma propre humanité et le regard porté sur l’Autre. »

Thomas Duranteau, en trois mots ?

Frontières – Humain – Tendresse

Ton plus beau souvenir ?

Le plus beau souvenir qui me vient là, ici, tout de suite, est celui d’un voyage en Egypte. J’avais douze ans. La sensation de découvrir quelque chose de tout autre, dépassant ma propre culture mais que je rejoins malgré quelque part à ce moment là. Une forme de grande sensibilité à ce qui se passe, ce qui m’entoure.

Je suis en cours de publication aux Ardents éditeurs d’un ouvrage « Canne à sucre et sarcophage : Vie de Périchon-Bey (1860-1929) un ingénieur passionné d’égyptologie« . C’est le parcours d’un collectionneur d’objets égyptiens qui a vécu en Egypte à la fin du XIXe siècle et qui fut directeur de grandes sucreries. En vrai passionné de l’Egypte, il a vécu une véritable rencontre avec la culture du pays. Il a habité pendant 22 ans dans une région où vivait peu d’expatriés. Son parcours est passionnant car il a été très investi dans la protection du patrimoine. Une vraie rencontre avec l’Orient. Je fais vraiment un lien avec mon propre souvenir. J’ai eu très jeune cette sensation particulière dans la découverte du pays et ses lieux culturels et patrimoniaux. Ce fut aussi une rencontre avec l’histoire, avec l’Autre, une diversité qui m’a nourrie et que l’on retrouve dans mes travaux.

Ton rêve le plus fou ?

Je ne dois en choisir qu’un ? (rires) Faire un tour du monde pour découvrir la richesse et la diversité du monde.

Futur(s) projet(s) ?

Il y a déjà l’aboutissement de mon ouvrage sur la vie de Perichon-Bey qui me prend pas mal de temps et d’énergie. Des expositions continuent d’être montées sur mes différents ouvrages. « Des miettes et des étoiles » va aussi poursuive sa route et être proposée dans d’autres villes.

J’ai également en tête un nouveau projet graphique que j’aimerais vraiment aboutir. Un projet différent ce que j’ai pu faire jusque maintenant. C’est un peu difficile de le détailler car tout fourmille encore dans ma tête… Ce sera l’occasion d’une prochaine rencontre ! (rires)

Le(s) mot(s) de la fin ?

Restez curieux !!

Derniers livres parus :
« Canne à sucre & sarcophage : Vie de Périchon-Bey (1860-1929), un ingénieur passionné d’égyptologie », Les Ardents éditeurs, Limoges, 2022

« Dans les boyaux de l’ogre », Musée de la résistance de Limoges, Limoges, 2018

« Narcisse Pelletier, la vraie histoire du sauvage blanc », éditions Elytis, Bordeaux, 2016 – Prix du Livre Mémoires de la Mer 2017

Maîtres de vie », éditions Apeiron, 2015 (collection Double je)

« Des miettes et des étoiles », préface de Raphaël Esrail, éditions Elytis, Bordeaux, 2012 (collection Grafik) – Prix du Club de la Presse 2012

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